Hommage à Visconti à Nice

Trois costumes du Guépard exposés au musée de Cinecittà à Rome. A gauche, une toilette de ville portée dans le film par Claudia Cardinale. Au centre, l’uniforme garibaldien de Giuliano Gemma. A droite, la robe de soirée de la princesse Maria Stella di Salina, jouée par Rina Morelli.

Toujours à la recherche de traces du festival du cinéma italien de Nice, « Nice-Cinecittà », nous retranscrivons ici un autre compte rendu, après celui de la première édition de 1980. Il s’agit d’un des deux textes consacrés à l’édition de 1984, signé Michel Ciment et paru en février 1985 dans le n°288 de Positif (p.53), sur l’hommage rendu à Luchino Visconti (mort en 1976), notamment à travers une exposition itinérante. Le festival, riche de pas moins de quatre cent invités depuis son existence, se déroulait toujours à Acropolis et à la Cinémathèque de Nice et durait six jours, en fin d’année. La revue précise que le public niçois s’y était bousculé pour voir des reprises et qu’en conséquence des projections supplémentaires furent improvisées à la Cinémathèque.

« L’hommage à Visconti organisé par le festival de Nice constituait le point d’orgue d’une année qui témoigne de la présence du cinéaste de Senso après la publication du livre d’Alain Sanzio et Paul Louis Thirard chez Persona, et du scénario inédit d’A la recherche du temps perdu par le même éditeur, la présentation de la version intégrale de Ludwig et la parution de l’essai de haute volée de Youssef Ishaghpoor, Visconti, le sens et l’image, aux Editions de la Différence (et sur lequel nous reviendrons prochainement). A voir le nombre d’articles que les revues spécialisées consacrent à Visconti, les ressorties de ses films dans les salles d’art et d’essai, on peut s’étonner tout de même de lire sous la plume d’Ishaghpour que Visconti « déplaît aux cinéphiles », car comment s’appelleraient donc ces lecteurs, ces critiques et ces spectateurs qui en font si grand cas ?

Triple hommage donc à Nice. Avec la présence d’abord de ses collaborateurs, le monteur Ruggero Mastroianni, la scénariste Suso Cecchi d’Amico, le décorateur Mario Garbuglia, les comédiens Dirk Bogarde, Charlotte Rampling, Jean Sorel et Helmut Berger, qui sont venus évoquer brièvement le Maître – non sans être gênés, et le public avec eux, des maladresses et de l’amphigouri du présentateur, Georges de Caunes, visiblement mal à l’aise. Le film-portrait de Luca Verdone, réalisé en 1982, sous-titré approximativement, nous proposait les témoignages de certaines de ces personnalités et, par un bon choix d’extraits, retraçait l’évolution de l’œuvre viscontienne, tout en mettant en lumière le rôle de plus en plus important des décors et des costumes, dans une sorte de pétrification progressive que l’on peut défendre et expliquer brillamment comme le fait Ishaghpour, mais qui peuvent poser des problèmes pour certains, tour en trouvant, selon nous, une justification totale dans L’Innocent, la dernière œuvre de Visconti. L’intérêt du film vient surtout des déclarations du réalisateur lui-même, ainsi que des plans fugitifs où l’on peut voir son travail scénique (mises en scène des Parents terribles, de La Traviata, de Manon et de Simon Boccanegra), ainsi que quelques documents (tournage des Damnés, tests de Björn Andrésen pour le rôle de Tadzio dans Mort à Venise). Le clou de cet hommage fut cependant la magnifique exposition qui proposait un nombre impressionnant de documents (lettres, photos, dessins préparatoires) et de costumes retraçant la triple activité de Visconti comme metteur en scène de cinéma, de théâtre et d’opéra (après Senso).

Bien sûr, nous connaissions la plupart de ces documents grâce à l’Album Visconti (Sonzogno, 1978) aux deux splendides volumes, Il mio teatro (Capelli, 1979) et au Visconti e il suo lavoro (Electra, 1981), mais il était émouvant de les apprécier de visu avant d’en retrouver bientôt un grand nombre dans le livre que prépare Bruno Villien : éventail-souvenir d’un spectacle écrit et interprété par les parents de Luchino Visconti représenté en 1911 dans le petit théâtre qu’ils avaient fait construire dans leur maison de Milan ; portrait de famille avec groupe dans le Château de Grassano en 1910 ; dessins de Visconti enfant tirés d’un album de famille ; lettre de l’auteur à Coco Chanel en 1936 où il dit sa déception de n’avoir pu filmer à Londres une adaptation du Novembre de Flaubert ; lettre de Renoir à Visconti au moment du tournage de La Tosca ; article de Visconti du 12 mai 1946 : « Perché voterò per il partito communista » ; analyse graphologique de Barat : « Possédant une forte volonté, résolu, un peu matérialiste, il est très sûr de lui, sait ce qu’il veut, est tenace dans l’action, quelquefois un peu prétentieux, sait faire effet sur les autres. Il sait aimer, est fortement sensuel. Il aime être observé, être apprécié. Il possède un sens du rythme très développé, aime la musique » ; photos de Visconti avec Marlon Brando auquel il pensait pour le rôle du lieutenant Mahler dans Senso ; notes de Francesco Rosi, assistant, pour la toilette de Livia dans le même film ; esquisses du couturier Piero Tosi pour les costumes, avec échantillons d’étoffes ; maquettes de décors dues à Mario Garbuglia ; et des photos par centaines qui témoignent, mieux que pour la plupart des réalisateurs, de l’aspect pictural, architectural et décoratif du cinéma de Visconti qui se définit avant tout dans ses rapports avec les autres arts, comme un accomplissement du rêve du XIXe siècle vers une synthèse idéale de toutes les formes d’expressions. » M. C.

Pascale Rocard accompagnée de Guy et Emmanuelle Béart le 4 décembre 1984 à la soirée de clôture du festival du cinéma italien de Nice, marquée par un hommage à Luchino Visconti, en présence de plusieurs interprètes de ses films (Source : AGIP).

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