Ménage à trois (1983)

De l’affiche originale à l’affiche italienne, s’agit-il toujours du même film ?

Conversation sur le film Ménage à trois (Better Late Than Never), tourné dans les Alpes-Maritimes [1], entre Quentin Tarantino, Roger Avary et sa fille Gala, que nous avons traduite, résumée et annotée. A écouter en intégralité sur le site du podcast The Video Archives (« After Show 16 – Video Vault: Better Late Than Never » ; 2023). Avertissement : Tarantino livre dans les lignes qui suivent une version du scénario toute personnelle. Ça n’est pas exactement ce que vous verrez à l’écran…

Quentin Tarantino [le seul des trois à avoir vu le film] : Ménage à trois est une comédie britannique internationale avec David Niven, Art Carney, Maggie Smith et Catherine Hicks. Cette dernière venait de jouer Marilyn Monroe dans un téléfilm (Marilyn, une vie inachevée, 1980). C’est le deuxième et dernier film que David Niven Jr., le fils de David Niven, après Bons baisers d’Athènes (1979), a produit avec son père au générique. Il s’agit probablement du dernier grand rôle de David Niven. La seule participation notable qu’il ait faite après ça, c’est son caméo dans L’Héritier de la panthère rose (1983)… L’intrigue de Ménage à trois est la suivante : deux vieux hommes vivant en Angleterre, Niven et Carney, reçoivent chacun un billet de train pour se rendre dans le Sud de la France. Un avocat souhaite les voir là-bas, sans doute pour une histoire d’héritage, mais ça reste flou. Ils décident tous les deux d’y aller. Durant le voyage, Carney reconnaît Niven. Carney lui rappelle qu’il y a entre eux un contentieux qui remonte à la Deuxième Guerre Mondiale. Carney, alors GI, s’était fait volé sa fiancée par Niven, officier de la Royal Air Force, qui lui apprend qu’il n’est finalement pas resté avec cette femme. Une fois sur place, ils se croisent à nouveau chez l’avocat qui les avait convoqués – avocat campé par l’hilarant Lionel Jeffries, l’acteur des Premiers hommes dans la lune (1964) – et réalisent que leur rencontre dans le train n’était pas fortuite. Il se trouve que la femme qu’ils ont tous les deux aimés est morte et qu’elle souhaitait qu’ils soient présents à la lecture de son testament, qu’elle a enregistré elle-même sur bande audio. Sur la bande, elle leur déclare qu’elle n’a jamais pu choisir entre l’un et l’autre, qu’elle a eu une fille avec l’un ou l’autre mais qu’elle n’a jamais voulu savoir qui était le père, préférant penser qu’ils l’étaient tous les deux. Hélas, elle leur apprend aussi que leur fille est morte, qu’elle a péri, elle et son très riche mari dans un accident de voiture, et qu’elle a eu elle-même une fille, qu’elle, la grand-mère, a élevé. N’ayant jamais pu décider qui était le père de sa fille, elle laisse à sa petite-fille le soin de choisir qui de ses deux amants sera son grand-père [2]…

Gala Avary : Mais la petite-fille, ça n’est pas celle que l’on voit sur l’affiche, j’espère ?

Q.T. : Non, non, ça n’est pas elle sur l’affiche… Et donc, vu que leur petite-fille est millionnaire, nos compères vont mener la grande vie, fréquenter les plus beaux hôtels de la Riviera, dans la même zone géographique que Le Plus escroc des deux (1988). A un moment donné, Niven tombe sur le personnage de Catherine Hicks dans un bar. Il va l’inviter et ils vont passer du temps ensemble. Ce qui est incroyable à ce sujet, c’est qu’aussi vieux David Niven puisse paraître dans le film, c’est d’ailleurs comme ça qu’il nous est présenté, comme un homme âgé, il est toujours aussi soigné et svelte qu’il ne pouvait l’être dans Une question de vie ou de mort (1946). Depuis les années soixante, Niven a le même âge et la même silhouette dont nous avons ici une version légèrement vieillie. Non seulement on ne remet pas en cause le fait qu’il soit la star du film mais encore moins le magnétisme sexuel qui en découle. Ainsi, qu’il ait une touche avec Catherine Hicks dans le film n’a rien de ridicule. Avec l’autre acteur, Art Carney, ça n’aurait pas fonctionné, mais avec Niven, et je trouve ça remarquable, on y croit sans problème… C’est sinon un film très plaisant, divertissant au possible. Inconséquent certes mais réussi, surtout dans le genre production internationale « tax shelter » (incitant fiscal) des années quatre-vingt !

Roger Avary : Parle-nous un peu du réalisateur du film, Bryan Forbes.

Q.T. : Bryan Forbes est un réalisateur britannique très intéressant de cette époque. Il a d’abord été acteur et c’est aussi un scénariste. Il commence sa carrière de réalisateur à la fin des années cinquante. On luit doit Le Rideau de brume (1964) et Les Femmes de Stepford (1975). A titre personnel, je suis fan, et sans doute le seul à l’être, de Sarah (1978) avec Tatum O’Neal, la suite du Grand national (1944). J’avais adoré ce film quand j’étais gosse. Je l’ai programmé une ou deux fois pour les matinées enfants du New Bevelry [sa salle de cinéma à Los Angeles]. Je l’aurais proposé plus souvent mais apparemment ça n’intéresse que moi ! Ménage à trois est une des dernières réalisations de Forbes. On peut sentir que tout le monde s’appréciait sur le plateau et qu’ils se sont éclatés à tourner ce film dans le Sud de la France [2].

R.A. : Tellement de réalisateurs britanniques ont habité sur la Côte d’Azur.

Q.T. : David Niven et Bryan Forbes certainement.

R.A. : Ayant vécu quelques années au Cap d’Antibes, il y a très longtemps, je peux te dire que tous les réalisateurs de James Bond étaient là. Et pas qu’eux. Roger Moore, John Malkovich vivaient dans le coin…

Q.T. : Parmi les réalisateurs de James Bond, il y avait Lewis Gilbert [décédé à Monaco en 2018] dont j’aimerais revoir les films des années cinquante. •

1. Le film fut tourné durant l’été 1981 à Nice (Studios de la Victorine), au Cap d’Antibes (Château de la Garoupe) et à Saint-Jean-Cap-Ferrat (villa la Fleur du Cap). Forbes avait tourné dans la région, treize ans auparavant, La Folle de Chaillot (1969).

2. Ménage à trois partage à ce titre de nombreuses ressemblances avec Une chance sur deux (1998) de Patrice Leconte, qui se déroule également dans le luxe et sur la Côte d’Azur et dont le point de départ est sensiblement le même : une fille à la mort de sa mère doit choisir entre deux pères putatifs qu’elle n’a jamais connu.

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