Mylène Demongeot : choses vues à la Victorine

Mylène Demongeot et Jean Seberg dans Bonjour tristesse.

En 2019, Henry-Jean Servat, futur délégué aux animaux et au cinéma à la Ville de Nice (2020-2023), s’entretient, à l’occasion du centenaire des Studios de la Victorine, avec trois stars y ayant tourné. Jacqueline Bisset et Nathalie Baye, chacune pour évoquer La Nuit américaine, film-emblème des studios niçois, et Mylène Demongeot, née à Nice, qui a retrouvé cinq fois les décors de la Victorine et de la Riviera entre 1957 et 1966 (Une manche et la belle, Bonjour tristesse, Les Don Juan de la Côte d’Azur, L’Appartement des filles et Tendre voyou). Voici notre sélection (propos résumés) de la conversation avec Mylène Demongeot, qui, décédée en 2022, devrait avoir prochainement un nom de rue à Nice. Les trois entretiens sont à regarder dans la playlist de la Cinémathèque de Nice.

Mylène Demongeot et Henri Vidal dans Une manche et la belle.

« Sur Une manche et la belle de Henri Verneuil, ce gentilhomme de Verneuil a bien failli me tuer ! Je joue une garce terrible dans le film. Henri Vidal y est mon jeune premier. Viens le jour du tournage de la mort de mon personnage. La scène est la suivante : pendant que je m’enfuis dans un jardin, Vidal, à travers une grande verrière, doit tirer et me tuer. C’est le dernier plan de la journée, Verneuil est un peu agacé. Il demande à l’artificier si la charge explosive est bonne et si ça peut être fait en une fois. Le technicien répond positivement. Tout le monde est prêt, on crie « action », je cours, le coup part. Et là, stupeur, la verrière explose ! J’ai à peine le temps de protéger mon visage avec le bras. Bras que je retrouve criblé d’éclats de verre après la prise ! On a compté, j’en ai reçu quarante-sept ! L’artificier a tellement eu peur de rater le plan et déplaire à Verneuil qu’il avait mis double charge. J’ai eu la peur de ma vie. J’ai vraiment cru que j’allais perdre mes yeux. Ça reste un sacré souvenir, je ne l’ai jamais oublié celui-là ! Si je n’avais pas mis mon bras, j’étais aveugle. »

Nicholas Ray à Nice par Marvin Koner pour le magazine « Pageant » (octobre 1957).

« Quand j’étais à la Victorine, à la fin des années cinquante, j’avais ma loge à côté du bar. J’y allais prendre mon petit café en arrivant. Un matin, je ne sais plus ce qu’il faisait là [il tournait Amère victoire], je tombe sur Nicholas Ray au bar. Il s’installe juste à côté de moi et lance à la barmaid « Mon Evian » [imité avec un accent américain]. On lui sert un grand verre et je le regarde, fascinée. Nicholas Ray, c’était La Fureur de vivre, mon idole ! Timide, je n’ose pas lui parler. Il finit de boire et puis s’en va. Une fois parti, je dis à la barmaid : « Ben, dit donc ! Un grand verre d’eau comme ça le matin… » Et elle : « Ma pauvre fille, tu es bien innocente, c’était pas de l’eau mais de la vodka ! » Ça m’a frappée, un quart de litre de vodka, comme ça, de bon matin. »

Sami Frey et Mylène Demongeot sur la terrasse de l’Aéroport de Nice dans L’Appartement des filles.

« La Victorine, c’était aussi du bruit. Les techniciens s’énervaient quand les cigales chantaient. Nous, les acteurs, ça ne nous gênait pas. Les plateaux étant suffisamment insonorisés, les cigales n’empêchaient pas qu’on tourne. En revanche, les avions [la Victorine et l’Aéroport de Nice sont très proches], si. On les entendait beaucoup, même à l’intérieur de ces grandes baraques en tôles qu’étaient les studios de l’époque. Ils étaient certes flambants neufs, mais ne devaient pas être aussi bien insonorisés que maintenant. Je me souviens qu’il fallait quasi systématiquement couper quand un avion décollait ou atterrissait, surtout quand il décollait, c’est plus bruyant. En revanche, si la prise perturbée était réussie du point de vue du jeu et qu’elle aurait été difficile à recommencer, le metteur en scène ne l’interrompait pas, on allait jusqu’au bout. Et on la refaisait au doublage en rentrant à Paris. Évidemment, ça n’était jamais aussi bien que sur le plateau, l’émotion n’était plus la même. »

Le butin d’un victorinophile

Toutes les télés qui se sont intéressées un jour aux Studios de la Victorine sont allées trouver Emile…
Exposé par Prise 2 en 2019 : Robert Hossein, Claude Lelouch et Marcel Carné laissant leurs empreintes de mains à la fête de la Victorine le 22 mai 1984.
Clap des techniciens de la série Monte Carlo (1986) avec Joan Collins et George Hamilton.
Une des fausses fontaines Wallace de Lady L (1965).
Détail du portail en bois imitation fer forgé de la villa haïtienne des Comédiens (1967).
Fausse cloche de bateau du Diamant du Nil (1985).
Cabanon recyclant des éléments du décor de Lady L.

Ménage à trois (1983)

De l’affiche originale à l’affiche italienne, s’agit-il toujours du même film ?

Conversation sur le film Ménage à trois (Better Late Than Never), tourné dans les Alpes-Maritimes [1], entre Quentin Tarantino, Roger Avary et sa fille Gala, que nous avons traduite, résumée et annotée. A écouter en intégralité sur le site du podcast The Video Archives (« After Show 16 – Video Vault: Better Late Than Never » ; 2023). Avertissement : Tarantino livre dans les lignes qui suivent une version du scénario toute personnelle. Ça n’est pas exactement ce que vous verrez à l’écran…

Quentin Tarantino [le seul des trois à avoir vu le film] : Ménage à trois est une comédie britannique internationale avec David Niven, Art Carney, Maggie Smith et Catherine Hicks. Cette dernière venait de jouer Marilyn Monroe dans un téléfilm (Marilyn, une vie inachevée, 1980). C’est le deuxième et dernier film que David Niven Jr., le fils de David Niven, après Bons baisers d’Athènes (1979), a produit avec son père au générique. Il s’agit probablement du dernier grand rôle de David Niven. La seule participation notable qu’il ait faite après ça, c’est son caméo dans L’Héritier de la panthère rose (1983)… L’intrigue de Ménage à trois est la suivante : deux vieux hommes vivant en Angleterre, Niven et Carney, reçoivent chacun un billet de train pour se rendre dans le Sud de la France. Un avocat souhaite les voir là-bas, sans doute pour une histoire d’héritage, mais ça reste flou. Ils décident tous les deux d’y aller. Durant le voyage, Carney reconnaît Niven. Carney lui rappelle qu’il y a entre eux un contentieux qui remonte à la Deuxième Guerre Mondiale. Carney, alors GI, s’était fait volé sa fiancée par Niven, officier de la Royal Air Force, qui lui apprend qu’il n’est finalement pas resté avec cette femme. Une fois sur place, ils se croisent à nouveau chez l’avocat qui les avait convoqués – avocat campé par l’hilarant Lionel Jeffries, l’acteur des Premiers hommes dans la lune (1964) – et réalisent que leur rencontre dans le train n’était pas fortuite. Il se trouve que la femme qu’ils ont tous les deux aimés est morte et qu’elle souhaitait qu’ils soient présents à la lecture de son testament, qu’elle a enregistré elle-même sur bande audio. Sur la bande, elle leur déclare qu’elle n’a jamais pu choisir entre l’un et l’autre, qu’elle a eu une fille avec l’un ou l’autre mais qu’elle n’a jamais voulu savoir qui était le père, préférant penser qu’ils l’étaient tous les deux. Hélas, elle leur apprend aussi que leur fille est morte, qu’elle a péri, elle et son très riche mari dans un accident de voiture, et qu’elle a eu elle-même une fille, qu’elle, la grand-mère, a élevé. N’ayant jamais pu décider qui était le père de sa fille, elle laisse à sa petite-fille le soin de choisir qui de ses deux amants sera son grand-père [2]…

Gala Avary : Mais la petite-fille, ça n’est pas celle que l’on voit sur l’affiche, j’espère ?

Q.T. : Non, non, ça n’est pas elle sur l’affiche… Et donc, vu que leur petite-fille est millionnaire, nos compères vont mener la grande vie, fréquenter les plus beaux hôtels de la Riviera, dans la même zone géographique que Le Plus escroc des deux (1988). A un moment donné, Niven tombe sur le personnage de Catherine Hicks dans un bar. Il va l’inviter et ils vont passer du temps ensemble. Ce qui est incroyable à ce sujet, c’est qu’aussi vieux David Niven puisse paraître dans le film, c’est d’ailleurs comme ça qu’il nous est présenté, comme un homme âgé, il est toujours aussi soigné et svelte qu’il ne pouvait l’être dans Une question de vie ou de mort (1946). Depuis les années soixante, Niven a le même âge et la même silhouette dont nous avons ici une version légèrement vieillie. Non seulement on ne remet pas en cause le fait qu’il soit la star du film mais encore moins le magnétisme sexuel qui en découle. Ainsi, qu’il ait une touche avec Catherine Hicks dans le film n’a rien de ridicule. Avec l’autre acteur, Art Carney, ça n’aurait pas fonctionné, mais avec Niven, et je trouve ça remarquable, on y croit sans problème… C’est sinon un film très plaisant, divertissant au possible. Inconséquent certes mais réussi, surtout dans le genre production internationale « tax shelter » (incitant fiscal) des années quatre-vingt !

Roger Avary : Parle-nous un peu du réalisateur du film, Bryan Forbes.

Q.T. : Bryan Forbes est un réalisateur britannique très intéressant de cette époque. Il a d’abord été acteur et c’est aussi un scénariste. Il commence sa carrière de réalisateur à la fin des années cinquante. On luit doit Le Rideau de brume (1964) et Les Femmes de Stepford (1975). A titre personnel, je suis fan, et sans doute le seul à l’être, de Sarah (1978) avec Tatum O’Neal, la suite du Grand national (1944). J’avais adoré ce film quand j’étais gosse. Je l’ai programmé une ou deux fois pour les matinées enfants du New Bevelry [sa salle de cinéma à Los Angeles]. Je l’aurais proposé plus souvent mais apparemment ça n’intéresse que moi ! Ménage à trois est une des dernières réalisations de Forbes. On peut sentir que tout le monde s’appréciait sur le plateau et qu’ils se sont éclatés à tourner ce film dans le Sud de la France [2].

R.A. : Tellement de réalisateurs britanniques ont habité sur la Côte d’Azur.

Q.T. : David Niven et Bryan Forbes certainement.

R.A. : Ayant vécu quelques années au Cap d’Antibes, il y a très longtemps, je peux te dire que tous les réalisateurs de James Bond étaient là. Et pas qu’eux. Roger Moore, John Malkovich vivaient dans le coin…

Q.T. : Parmi les réalisateurs de James Bond, il y avait Lewis Gilbert [décédé à Monaco en 2018] dont j’aimerais revoir les films des années cinquante. •

1. Le film fut tourné durant l’été 1981 à Nice (Studios de la Victorine), au Cap d’Antibes (Château de la Garoupe) et à Saint-Jean-Cap-Ferrat (villa la Fleur du Cap). Forbes avait tourné dans la région, treize ans auparavant, La Folle de Chaillot (1969).

2. Ménage à trois partage à ce titre de nombreuses ressemblances avec Une chance sur deux (1998) de Patrice Leconte, qui se déroule également dans le luxe et sur la Côte d’Azur et dont le point de départ est sensiblement le même : une fille à la mort de sa mère doit choisir entre deux pères putatifs qu’elle n’a jamais connu.

Opéra(tion) Woody Allen

Ci-dessus, les dessins du sarcophage du magicien par Yves Moreaux pour la séquence du théâtre berlinois de Magic in the moonlight. Photogrammes de la séquence en diaporama, ci-dessous. Le tour de magie avec l’éléphant fut entièrement réalisé aux Studios de la Victorine puis inséré par effet spécial sur la scène du théâtre en post-production. Les extérieurs et intérieurs du théâtre sont ceux de l’Opéra de Nice.

Arnaud Duterque, responsable de production pour le cinéma et la télévision, récemment pour Mascarade de Nicolas Bedos et la série de Neil Jordan Riviera, a publié en 2020 « Magic Woody Allen – Journal d’un tournage sur la Côte d’Azur » (Éditions de l’Antre), d’après des notes prises par l’auteur durant les repérages et le tournage de Magic in the moonlight (2014) de Woody Allen, film pour lequel il avait été engagé. Morceaux choisis du livre se déroulant à Nice rue Saint-François-de-Paule

Mercredi 19 juin

« Nous reprenons nos voitures (…) pour descendre vers Nice, nous avons rendez-vous, juste pour une petite visite presque à l’improviste à l’Opéra de Nice. La responsable des autorisations de tournage pour la Ville de Nice, nous attend de pied ferme pour faire la visite, nous sommes en retard comme d’habitude. Elle nous prévient, on ne peut pas tourner la moindre scène à l’opéra de Nice car il doit fermer pour effectuer des travaux de mise aux normes de sécurité cet été, en plein pendant la période de notre tournage. Woody Allen n’en a cure, il s’en soucie comme d’une guigne, car il n’est pas du tout au courant de ce léger problème et on entre. On déboule en pleine répétition d’un spectacle de petites filles qui dansent en tutu, personne n’a vraiment été prévenu, devant le débarquement de l’équipe, la répétition s’arrête… Les mères médusées voient Woody entrer à l’intérieur dans la grande salle de l’Opéra qui est somptueuse. On allume les lumières, pour que l’on puisse admirer le décor. Les mères médusées manquent de se pâmer : « Tu as vu c’est Woody Allen incroyable non ? » Il est séduit par la grandeur et l’élégance des lieux, veut absolument tourner à l’Opéra de Nice, la responsable des autorisations se gratte la tête avec le régisseur général qui sort son baratin habituel pour la persuader. » (pp. 42-43)

Vendredi 12 juillet

« L’opéra, (…) après plusieurs refus polis, a finalement accepté le tournage (…) A l’intérieur, il y a, ce soir, une grosse séquence à tourner avec 200 figurants, qu’il faut préparer, habiller, maquiller, coiffer dans un temps record. Nous sommes en plein été, il y a soudain une panne de clim dans l’Opéra en travaux, il ne fait pas loin de 60 degrés ! Toute l’équipe est au bord de l’explosion, et n’est pas loin de démissionner, il faut rapatrier de toute urgence des climatiseurs. L’équipe de la régie s’en occupe et se débrouille pour rapatrier les climatiseurs utilisés sur les plateaux du studio de la Victorine. Il y a un journaliste infiltré à l’intérieur de l’Opéra, il interroge les différents figurants qu’il croise, lui-même s’est inscrit sur la liste de la figuration. Les figurations qui ne savent rien, racontent n’importe quoi et le pseudo reporter fait ce qu’il faut pour rendre son reportage intéressant, car il est diffusé le soir même à la radio ! A l’extérieur, cela devient beaucoup plus compliqué qu’à l’intérieur. En effet, au-dehors la foule devient dense et presque hystérique, car elle cherche à tout prix à apercevoir la légende de New York. Mister Woody Allen. La police municipale représentée en l’occurrence, par deux jeunes femmes charmantes appellent des renforts masculins, mais cela ne suffit pas, il faut mettre des barrières antiémeutes pour contenir la foule, qui se fait plus compacte, plus pressante, presque agressive.

Pendant le changement de décor entre l’intérieur et l’extérieur, toute l’équipe est partie dîner sur la place Pierre Gautier, au cœur de la vieille ville. Loin de l’agitation et de l’effervescence, le maestro lui se restaure dans l’un des meilleurs restaurants de la ville, le genre d’endroit où les serveurs et la patronne regardent les clients de haut. D’un peu trop haut peut-être. D’ailleurs, monsieur Allen part du restaurant avec la productrice sans payer, car ils ont attendu l’addition pendant plus d’une demi-heure ! Le problème de ce restaurant c’est que la patronne est persuadée d’être plus importante que ses clients. En pleine scène, débarquant comme les cheveux sur la soupe, le Maire vient serrer la pince au petit Prince du cinéma, interrompant le tournage pendant un bon quart d’heure. ‘Time is money‘ et le compteur tourne ! La productrice fait la gueule. Il lui remet une affiche du festival de jazz de Nice, qui se joue à deux pas de là signée par tous les artistes… et une petite chaise bleue symbole de la promenade des anglais… Fin de tournage une heure du matin, remballage jusqu’à 2h15. » (pp. 58-59) ♦

Le Fils de la panthère rose (1993)

« Nice-Matin », mercredi 3 juin 1992, p. 26

Sans préjuger du point de vue sur la question de sa femme Julie Andrews (« Mary Poppins », pour des millions de fans dans le monde) on peut estimer que le réalisateur américain Blake Edwards est un homme fidèle. Fidèle au regretté Peter Sellers, dont il a fait une fois pour toutes l’ineffable Inspecteur Clouseau, héros « récurrent » (comme on dit aujourd’hui pour les séries télé) de chacune des aventures de sa « panthère rose ». Fidèle, aussi, à ses lieux de tournage. C’est aux Studios de la Victorine, à Nice, qu’il avait dirigé Sellers-Clouseau pour la dernière fois en 1977, dans La Malédiction de la panthère rose : c’est à la Victorine – comme il nous l’avait annoncé au dernier Festival de Cannes – qu’il va mettre au monde Le Fils de la pantère rose, sous les traits de l’acteur italien Roberto Benigni. Un « accouchement » qui débutera le 8 juin et occupera pendant 6 semaines les vénérables installations de la colline de Caucade, avec des extérieurs localisés dans la région, notamment à Nice et à Cannes. Du baume au cœur avec cette production internationale à gros budget – plus de 22 millions de dollars – pour les célèbres studios niçois en passe de changer une nouvelle fois de mains (1), et qui soupirent en vain depuis de longues années après les « âges d’or » successifs de Rex Ingram dans les Années Folles, des Visiteurs du soir et des Enfants du paradis pendant la dernière guerre, ou des années 60, lorsque se succédaient encore sur les plateaux Lady L de Peter Ustinov et La Folle de Chaillot de Bryan Forbes, dans ce décor fameux d’une rue de Paris où François Truffaut tournerait encore sa Nuit américaine en 72.

Pour l’économie locale le cinéma ça n’est pas… « du cinéma »

Coup de fouet pour les studios, donc, mais par la même occasion, apport non négligeable à tout un pan de l’économie locale et régionale, vers laquelle va naturellement revenir une part importante du budget du film. Au-delà de l’investissement « artistique » en effet, des cachets perçus par les interprètes, le réalisateur, la chaîne de ceux qui mettent l’histoire en images, concrètement (et qui en dépendent forcément un peu là où ils travaillent), une production comme celle de ce Fils de la panthère rose, c’est une bonne affaire pour beaucoup de gens dans des secteurs d’activité très divers, le plus souvent étrangers aux milieux comme aux techniques du cinéma. Cette réalisation de Blake Edwards par exemple, dont l’équipe de pré-production travaille ici depuis plusieurs semaines et a ouvert des bureaux (administration et comptabilité) dès le 1er juin dans les salons du Méridien, c’est 140 chambres d’hôtel occupées pendant un mois et demi. C’est encore une P.M.E. qui va employer à temps complet durant cette même période environ 200 personnes, dont un certain nombre de professionnels recrutés sur place ; avec paiement sur place également des charges et taxes patronales. C’est la fabrication d’un et peut-être deux grands décors sur les plateaux de la Victorine, qui occupe une vingtaine de spécialistes. C’est une « pige » assurée pour les 1.800 figurants qui vont être mobilisés, pour un ou plusieurs jours, entre le début et la fin du tournage. C’est enfin un client précieux pour de nombreux fournisseurs, depuis la restauration jusqu’à la location de véhicules en passant par l’habillement : à propos de deux téléfilms de 90 minutes que les studios avaient coproduit, l’actuel directeur de la Victorine, Marc Galerne, a pu calculer que sur un budget global de 12 millions de francs, 9 millions ont été dépensés sur place, dont 10 pour cent seulement auprès de prestataires de services spécifiques du 7ème art.

Lorsque les Régions se lancent dans la production

Bref ; sans même comptabiliser la publicité gratuite qu’une production internationale peut faire sur tous les écrans du monde, il est évident que le tournage de films est un « plus » pour la collectivité territoriale dans laquelle il se déroule. Certaines l’ont tellement compris que, bien que ne possédant ni studios, ni tradition cinématographique, elles n’hésitent pas à mettre la main à la poche pour attirer des productions. C’est ainsi que lors du dernier Festival de Cannes, deux des trois films français sélectionnés avaient été réalisés dans des Régions associées à leur production ; le Languedoc-Roussillon pour Le Retour de Casanova et Rhône-Alpes pour Au pays des Juliets, la première ayant auparavant coproduit notamment La Reine blanche, et la seconde Toutes peines confondues. La Riviera, bien sûr, ne peut pas prétendre accueillir seule tous les tournages de France, mais il y a certainement des efforts à faire, de la part des autorités (communales, départementales, régionales) et des administrations pour qu’autour des studios niçois – un équipement unique sur le territoire national, en dehors de Paris – le cinéma retrouve au moins la part d’activité qui fût la sienne naguère. Grâce à la télévision et à la publicité notamment, il conserve certes droit de cité sur nos rivages, mais souvent sur un mode mineur comme le note le Niçois Frédéric Bovis, directeur de production sur Le Fils de la panthère rose : « Pour trouver trace à la Victorine d’entreprises d’une ampleur comparable à celle de Blake Edwards, il faut remonter au Diamant du Nil, avec Michael Douglas, et à Under the cherry moon, avec Prince, en 1985, ou au Plus escroc des deux, avec Steve Martin et Michael Caine, en 88. Pour les décideurs de l’industrie cinématographique contemporaine, notre région a la réputation d’être chère dans tous ses compartiments. Ce qui n’est pas vrai, ou a cessé de l’être : au tarif moyen des prestations hôtelières, Nice paraît aujourd’hui bien placée en Europe, très loin des prix en vigueur à Paris, Londres ou Rome… » Encore faut-il le faire savoir aux intéressés, en allant au besoin les chercher, comme on démarche par ailleurs des entreprises ou de la clientèle touristique. De la même façon et avec le même souci de convaincre. L’entreprise cinématographique est devenue une entreprise comme les autres : une région l’attire et la retient par la qualité de l’accueil offert et les facilités accordées pour l’exercice de son activité. Le jeu en vaut la chandelle. – René Cenni

(1) Voir « Nice-Matin » du 10 mai 92.

Si le film fera un carton en Italie, consacrant le déjà très populaire Roberto Benigni, il sera un véritable fiasco aux Etats-Unis, où l’acteur ne tournera plus pendant dix ans.
Le monument au Général Delfino dans le square Normandie-Niemen.

« Le Fils de la panthère rose est hélas le pire de la série. J’avais joué dedans… Nous étions sept cent figurants à défiler sur le boulevard Delfino à Nice, où la production avait installé deux jours plus tôt une statue de Clouseau, imitant à la perfection le bronze du Général Louis Delfino qui se trouvait dans le square Normandie-Niemen [le buste a mystérieusement disparu depuis la rénovation du square en 2006]. Les habitant.e.s du quartier, crédules, s’étonnaient de la présence de cette statue, se demandant qui pouvait être ce Clouseau qui n’avait pas un nom niçois ! J’étais habillé en policier, comme une cinquantaine d’autres. Un figurant s’était amusé à boiter pendant le défilé, un autre avait caché un appareil photo sous sa vareuse… Pas étonnant que tout cela ait été coupé au montage ! » – Didier Gayraud, 2021, Villefranche-sur-mer.

Le boulevard Delfino.

Peurs sur la ville

Bien avant l’attaque meurtrière au camion-bélier de Nice le soir du 14 juillet 2016 sur la Promenade des Anglais – tragédie ayant inspiré à Raphaël un court-métrage en forme de pas de côté, Racines, en 2018 -, Quicksand, tourné quelques mois avant les attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis, et privé par conséquent de sortie pendant deux ans, s’était risqué à mettre en scène à Nice l’assassinat d’un élu en pleine cérémonie du 11 novembre (1), exécuté par un sniper depuis un balcon. Le mode opératoire ne date certes pas d’hier, qu’il rappelle Chacal (1973) de Fred Zinnemann, film sur les nombreux attentats organisés contre le Général De Gaulle dans les années soixante, ou le célèbre meurtre du Président Kennedy, tué par balles le 22 novembre 1963 à Dallas, terreau inépuisable de la fiction contemporaine, mais ne manque pas de sel une fois replacé dans son contexte scénaristique, voire de production, qu’on dit proche des pratiques dénoncées par le film lui-même. L’attentat de Quicksand est en effet organisé afin de protéger un réseau mafieux international d’un contrôle financier, à savoir l’investissement frauduleux et l’utilisation détournée d’une société de cinéma installée aux Studios de la Victorine, devenus dans l’histoire un haut lieu de la pègre et de la traite des blanches.

Tout aussi extravagante, la folie meurtrière qui s’abat sur Nice dans Sans mobile apparent de Philippe Labro, quatre personnes exécutées en quarante-huit heures, au fusil silencieux, en plein jour et aux yeux de tous, se fait quant à elle l’écho de la menace terroriste des années de plomb naissantes. Au carrefour d’innombrables influences, de l’esthétique sanguinolente des séries B italiennes à l’engouement médiatique suscité par les meurtres rituels de Charles Manson, au moins huit commis par Manson et son clan dans les environs de Los Angeles en 1969, Sans mobile apparent est certainement l’un des premiers films policiers à dessiner aussi nettement la figure du tueur en série moderne. Sorti sur les écrans français le 15 septembre 1971 (2), soit cinq mois avant L’Inspecteur Harry de Don Siegel, aux prises également avec un tueur psychopathe sévissant en milieu urbain, le film fut aussi le premier, et visiblement le dernier, à avoir su dominer les forces et les contradictions de Nice, éternel terrain vague du cinéma français, et à l’avoir dépeinte sans fioritures ni paresse. Chez d’autres artificielle et fugitive, elle est ici filmée dans toute son étendue et sa diversité : définitivement atypique, partiellement dérangée et avec une propension au pastis vertigineuse, la ville aura stimulé l’inventivité d’un Labro cinéaste comme jamais.

« Dans Sans mobile apparent (1971), on peut penser que j’ai reproduit inconsciemment certains gestes ou choses que j’ai vues ou cru voir à Dallas, Texas, à l’époque de l’assassinat de JFK, que j’avais couvert pour France-Soir. Quand les flics parlent entre eux dans le film, avec le pistolet à la ceinture, ou quand l’inspecteur Carella, joué par Jean-Louis Trintignant, se met en position de tirer, avec la main libre en arrière, je ne les mets pas en scène comme des flics français, mais comme ceux que j’ai vus en Amérique, qui eux-mêmes ressemblaient aux flics des films noirs américains que j’avais aimés. La passion que j’ai développée pour l’action et le geste, en cinéma comme en littérature, est la marque évidente de mon expérience texane… Kennedy, son meurtre, les flics, l’ambiance, l’inattendu, la tragédie, se trouver aux Etats-Unis à ce moment-là, tout ça a pénétré mes films, et non seulement Sans mobile apparent, mais aussi L’Héritier (1973) et L’Alpagueur (1976), mes deux polars avec Belmondo. Avec Sans mobile apparent, qui est l’adaptation d’une série noire d’Ed McBain, « 10 plus un », se déroulant dans une ville fictive ressemblant à New York, j’ai fait de l’Amérique la France et j’ai imaginé que la Côte d’Azur pouvait être la Californie. » – Philippe Labro, propos résumés tirés des bonus de l’édition vidéo de Sans mobile apparent, Studiocanal, 2018.

(1) L’attentat du film devait à l’origine se dérouler un 15 août et célébrer la libération de Saint-Tropez par les Américains, avant qu’une défaillance météo pendant le tournage n’impose le choix d’une commémoration hivernale, comme le raconte Denis, qui a figuré dans la scène.

(2) Il est présenté à Nice, où le film a été intégralement tourné, le même mois, en présence de Philippe Labro, au cinéma Paris-Palace. En 2019, Labro reviendra présenter Sans mobile apparent à Nice, cette fois en copie restaurée, à la Cinémathèque, qui pour l’occasion projettera des coulisses inédites du film enregistrées au port.

La panade niçoise de Roger Avary

Dans un très long entretien de Thomas Révay avec Roger Avary, réalisateur de Killing Zoe (1993), des Lois de l’attraction (2002) et Oscar du meilleur scénario original pour Pulp Fiction en 1995, paru dans le n°8 de Ciné Bazar (juin 2020), le cinéaste canadien raconte comment il a passé l’un des pires moments de sa vie en tournant à Nice aux Studios de la Victorine le pilote d’une série hypothétique, Mr. Stitch. Pilote devenu bon gré mal gré un long métrage (en photos) après le sabotage de la série par ses financeurs. Nous citons ici le passage concernant le film dans son intégralité.

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Parlez-moi de Mr. Stitch : Le voleur d’âmes (Mr. Stitch, 1995), la série TV avec Rutger Hauer. Que je n’ai hélas pas vue !

Ce n’était qu’un pilote de série, à l’origine. Pour moi, ça s’appelle Avary’s Folly ! Dans mon esprit, c’est le titre. J’étais comme soûl en raison de mes succès dans le milieu. Nous n’avions même pas encore fait Pulp Fiction, c’était en cours. Je crois que le film était sur le point de sortir et il y avait tout ce buzz autour. C’est à ce moment-là que j’ai fait Mr. Stitch. Une société m’avait contacté et voulait me faire réaliser ce pilote pour la télé… C’est ce qu’on appelait un backdoor pilot : ça a presque la durée d’un film mais avec des pubs au milieu. Le plan de financement pour le projet était international. J’ai écrit un script aussi vite que possible. J’avais envie de tout abandonner et de venir vivre en France. Pour prendre la direction des studios de la Victorine, à Nice, qui étaient abandonnés à l’époque. Si je me rappelle bien, on venait d’y tourner des séquences de Under the Cherry Moon [1986], le film de Prince. Et le frère de Michael Douglas était dans l’affaire mais il a laissé tomber. La législation française l’y a poussé. Les studios ne pouvaient servir qu’aux médias et à la production de divertissements. J’avais cet ami français à la fois agent et producteur, et notre objectif était de racheter ces studios. Il nous fallait donc un projet de série. Pour une raison simple : quand tu as une série qui marche, tes affaires sont assurées. C’est stable. L’idée était donc de faire une série et de l’utiliser comme source de financement pour le reste. J’avais un rêve d’indépendance, je voulais sortir du système hollywoodien et faire à ma manière… Je voulais faire ça dans le sud de la France, et ce n’est pas le pire endroit de la terre où vivre. Et j’ai un côté romantique. Quand je voyais les studios de la Victorine, rien que ses portes en bois dont tu pouvais voir l’usure à l’endroit où l’on place sa main pour ouvrir. Tant de personnes avaient ouvert ces portes… C’est là que La Nuit américaine [1973] a été réalisé. Et Truffaut avait travaillé avec Rémy Julienne. Bref, faire Mr. Stitch dans ces studios a été une entreprise pleine d’espoir, lancée dans une sorte d’extase. Je ne l’avais jamais envisagée sous la forme d’un long métrage. Mais une fois dans les studios, j’ai rapidement compris pourquoi ils sont si difficiles à utiliser. Il y a l’aéroport de Nice à proximité et les avions qui en décollent passent juste au-dessus, à basse altitude. Ça produit un énorme « FFFRRRRRRRRRRRRRRRRRRSSSHHHHHHHHH ». Et c’est toutes les deux minutes comme ça ! En prime, le plateau de tournage a la forme d’une antenne parabolique et il est situé juste en dessous de la trajectoire des avions, il n’y a aucune isolation acoustique sur le toit. Impossible de faire une prise correcte. Évidemment, on s’en aperçoit très vite… Par la suite, pendant environ trois mois, j’ai tenté de convaincre le ministre de la Culture de l’époque de faire changer la trajectoire des avions, pour que les studios puissent revivre. Apparemment, c’était impossible. Mais j’ai essayé ! En vain : j’ai vite compris pourquoi personne ne parvenait à exploiter les studios. Tout ça a largement contribué au désastre qu’a été ce projet. C’était un véritable cauchemar ! Je me retrouvais avec ce budget très limité et je souhaitais donner de la liberté aux acteurs… Or, quand tu travailles avec ce type d’acteurs, comment dire ? Ce sont des chevaux sauvages.

Vous parlez de Rutger Hauer, non ?

Tu as tout compris. J’adore Rutger, mais c’est un homme incontrôlable, un animal sauvage. C’est une bête, et je le dis dans le meilleur sens du terme ! Ce n’était vraiment pas simple de travailler avec lui. Il ne respectait pas les autres. Je donne toute la liberté du monde à mes acteurs, ils font ce qu’ils veulent. Mais tant que ça ne nuit pas aux autres acteurs impliqués. Il est de mon devoir de les protéger ! Rutger se pointait et inventait ses répliques. Il n’avait pas lu le script. Il improvisait comme ça lui venait et disait ce qu’il avait envie de dire. Personne ne savait comme se comporter face à ça. C’était vraiment très compliqué. Et quand, par chance, nous arrivions à faire une bonne prise : « FRRRRRRRSSSSSSSHHHHHH! » [Rires.] Concrètement, tout ce qui était susceptible de mal se passer s’est mal passé. Un jour, vers la fin du tournage, je suis sorti prendre l’air. Et c’est là que j’ai vu que la production était en train de faire cramer nos décors. Le foyer était gigantesque, tout cramait ! J’ai hurlé : « Mais c’est quoi ce merdier, on a besoin de nos décors pour la série ?! » J’ai instantanément compris que ça n’allait jamais devenir une série.

La production a fait brûler les décors ?!

Oui… La société de production qui finançait le truc n’y croyait pas. J’en ai eu le cœur brisé.

Personne ne vous avait prévenu, vous êtes juste tombé sur des individus en train de brûler les décors ?

Non, personne ne m’avait prévenu ! Ça a été une expérience atroce. Et pourtant, j’avais déjà réalisé Killing Zoe, qui n’avait pas été simple. Mais aucun film n’est facile à réaliser. C’est un processus épuisant et quasiment impossible à mener à bien. Cela dit, Killing Zoe a été dur à faire mais ç’a été une incroyable expérience. Rencontrer tous ces talents et faire des découvertes sur soi… Je pensais que tous les films seraient comme ça. Et puis j’ai réalisé que ce n’était pas le cas. A ce moment-là, avec Mr. Stitch, je me suis dit que si ça pouvait aussi mal se passer, je n’étais plus du tout certain de vouloir continuer dans ce métier. J’ai pris mes distances avec le cinéma pendant une période. J’ai laissé tomber et j’ai écrit. Je ne savais faire que deux choses, tu sais : travailler dans un vidéo-club et gagner ma vie en tant que réalisateur écrivant des films. J’avais pris conscience que les choses pouvaient vraiment mal tourner. En particulier avec ma façon de faire. C’est une méthode pleine de dangers, elle n’est pas très « carrée ». Il m’arrive de tâtonner, parfois sans trop savoir. Et quand tu donnes à quelqu’un de la liberté et que tu explores… il peut arriver que la maison ne soit pas bâtie correctement. Ton idée de base peut se retrouver pervertie. A l’image de ce projet avec Rutger auquel je tenais tant. A mes yeux, c’était l’occasion inespérée de faire une série philosophique. Je visais quelque chose de l’ampleur du Prisonnier [The Prisoner, 1967-1968], avec Patrick McGoohan, ma série préférée. Quand la production s’en est aperçue, ils se sont dit : « Mon Dieu, mais nous ne voulons pas faire une série comme Le Prisonnier ! » Eux, ce qu’ils voulaient, c’était un machin à la Capitaine Furillo [Hill Street Blues, 1981-1987] ou une autre série à succès du moment… C’était l’âge d’or des chaînes de télé, elles étaient toutes-puissantes.

Malgré tout, êtes-vous fier du résultat aujourd’hui ? Vous recommanderiez le film ?

C’est mon monstre de Frankenstein pour être tout à fait franc. Et comme Frankenstein, j’ai tenté de tuer ma créature. Le tournage s’est mal terminé… Dans le montage final, les moments prévus pour placer les publicités ne sont jamais au bon endroit. J’avais prévu divers fondus au noir pour les intercaler mais aucun n’a été utilisé. Les publicités se sont retrouvées placées en plein milieu des scènes. Franchement, tout est désastreux dans ce film. Je suis incapable de le regarder sans me rappeler à quel point le tournage a été horrible. C’est d’ailleurs grâce à cette expérience que j’ai compris quel type de réalisateur je suis. Un film est nécessairement marqué par le temps passé à le réaliser, par les émotions ressenties durant le tournage. Toutes ces émotions sont transférées dans le film lui-même. Et quand je regarde ce film, je ne vois que de la douleur. D’ailleurs, je ne l’ai pas vu depuis des années et je ne sais pas si je serai capable de le revoir un jour.•

Le cinéma perdu de Saint-Laurent-du-Var

Allée des studios

LES STUDIOS. Si de nos jours, plus grand monde n’associe Saint-Laurent-du-Var, commune de moins de 30 000 habitants limitrophe de Nice, au cinéma et en particulier aux tournages de films, ce ne fut pas toujours le cas.

Des studios voient le jour à Saint-Laurent dès la période du muet sur la rive droite du fleuve du Var, proches géographiquement des Studios de la Victorine de Nice, situés rive gauche. Accueillant essentiellement des productions françaises, les studios de Saint-Laurent-du-Var sont encore en pleine activité à la fin de la Deuxième Guerre Mondiale. Détruits en août 1944 par les bombardements alliés visant à couper le pont du Var, les studios ne seront jamais reconstruits.

Un chapitre illustré a été consacré aux studios dans un livre sur Saint-Laurent-du-Var en 2012. Chapitre que voici : Saint-Laurent-du-Var (Coll. Mémoire en Images, Editions Alan Sutton) [PDF]

En haut, L’unique renvoi au passé cinématographique de la commune : l’allée des studios. (Photo : Denis)

Cap 3000LA SALLE DE CAP 3000*. Largement modifié depuis son inauguration, sa superficie a doublé en 2019, Cap 3000, le plus grand centre commercial d’Europe en 1969 (voir carte postale), et désormais le plus vieux, voisin de l’Aéroport de Nice, qui doit son nom à son parking « cap/capacité 3000 places », était à l’origine bien plus qu’un village de magasins et de grandes enseignes. C’était aussi un lieu de détente et de loisirs plein de modernité et de fantaisie, proposant notamment une salle de cinéma.

« Au tout début, il y avait un cinéma de quatre cent places dans Cap 3000, à l’angle Nord-Ouest du bâtiment. Il y avait aussi deux piscines au premier étage. Sous les piscines, au rez-de-chaussée, se trouvait un bar, Le Drugstore, avec, au milieu, une piste de danse dont le plafond était troué de grands hublots permettant de voir les nageurs des piscines au-dessus… Toute une époque ! » (Yvan D.)

Cap 3000 c 1

Cap 3000 c 2

Ci-dessus, Le cinéma de Cap 3000 dans « Il y a 49 ans, le centre commercial Cap 3000 naissait dans les Alpes-Maritimes » [Vidéo]

En l’absence de suffisamment de public, la salle ferme assez rapidement. Si l’idée de refaire un cinéma à Cap 3000 a flotté durablement dans les esprits, l’ouverture en 2015 du centre commercial concurrent Polygone Riviera, à huit kilomètres de là, avec son multiplexe de dix salles, le Cap’Cinéma, devenu en 2017 le CGR Cagnes-sur-Mer Polygone Riviera, mettra un terme à cette vieille lubie.

L'Arme à gauche (Affiche)

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UN FILM. Deux scènes, une de nuit, l’autre de jour, dans L’Arme à gauche (1965) de Claude Sautet (voir diaporama), une coproduction franco-italienne avec Lino Ventura, Sylva Koscina et Alberto de Mendoza dont l’intrigue se déroule aux Caraïbes, ont été tournées à Saint-Laurent-du-Var pour figurer une zone portuaire isolée, dans ce qui semble être le chantier encore balbutiant de Cap 3000. Outre le terrain retourné du futur centre et sa plage, un plan tourné à proximité est à relever : celui de la voiture roulant en direction de Nice, au niveau du tri postal de l’aéroport, après la traversée du pont du Var. Un axe bien connu des Niçois et des Laurentins, qui lui n’a pas beaucoup changé, et que Sautet avait déjà filmé en sens inverse dans Classe tous risques, cinq ans auparavant !

*Une petite salle, le Cinéma Casino (en photo ci-dessous), a également existé dans le centre de Saint-Laurent-du-Var, sur l'actuelle avenue des Pugets (ex-route de Gattière). D'autres souvenirs liés au cinéma dans la commune sont à lire dans le groupe Facebook "Saint-Laurent-du-Var d'hier et d'aujourd'hui". Photo : Jean-Claude Billard.

Rémy Julienne Côte d’Azur

« Rémy Julienne Côte d’Azur », c’est comme ça qu’on appelait le repère des cascadeurs aux Studios de la Victorine où Rémy Julienne, le plus grand coordinateur de cascades du siècle dernier, en tournage dans la région, venait préparer le matériel et ses équipes.
Une époque révolue dont nous avons rassemblé quelques traces…

/ Images inédites de Rémy Julienne présentant des démonstrations de cascades à Jacques Chirac et Jacques Médecin aux Studios de la Victorine enregistrées en 1988 par Emile Martin, tournant pour la première fois en vidéo, après le 16 mm, ses archives de la Victorine.

/ Extrait de notre entretien avec Didier Brulé, cascadeur ayant travaillé près de trente ans avec Rémy Julienne – il avait d’ailleurs été mobilisé pour les démonstrations de la vidéo précédente -, à Nice et dans le monde entier. Intégralité de l’entretien disponible sur commande : DVD « Cinéma à Nice ».

Maximum Risk

/ Une interview que nous avons retrouvée et scannée (hélas avec quelques dommages pour certaines photos en bas de page) de Rémy Julienne accordée au magazine S.F.X. à propos du tournage de Risque maximum (1996) à Nice et à Villefranche-sur-mer : « Entretien avec Rémy Julienne – Cascades automobiles ».

A propos de Terence Young

Terence Young, tournage de MEYERLING - CopieTerence Young, au centre, tournant Mayerling (1968). Photo restaurée par Prise 2, coll. privée M. Borghesi. 

« A l’époque où Terence Young travaillait à Nice, entre les années soixante et soixante-dix, son bureau de production se trouvait dans la villa des Studios de la Victorine. Ça s’appelait « Terence Young Private ». En homme de cinéma, Young pensait qu’il allait faire repartir les studios. Il y a réalisé quelques films, dont L’Arbre de Noël (1969) avec Bourvil, mais, bien qu’il se soit entendu avec la direction, son action fut limitée et il a finalement quitté les lieux au bout de quatre ou cinq ans.

Une fois parti de la Victorine, Young a laissé beaucoup d’affaires derrière lui. Fernand Bernardi, accessoiriste aux studios, avait récupéré tout ce qu’il avait laissé dans la villa. Il y avait entre autres une copie 35 mm optique des Amazones (1) (1973), un film de Young, en version originale, qui faisait six boites, que m’a donné Fernand et qui est maintenant à la Ville de Nice.

Peu après la mort de Young, j’avais participé à une soirée-hommage organisée par son épouse Sabine Sun (2), dans leur maison sur les hauteurs de Cannes (3). Avec Michel Cinque, on avait réalisé pour l’occasion un montage des films qu’il avait tourné ici, ce qui avait pris deux jours. La soirée s’était déroulée en marge du Festival de Cannes de 1995. Tout le gratin présent au festival s’y était rendu. Et c’est moi qui m’était chargé de la projection vidéo, au bord de la piscine. »

Propos d’Emile Martin, recueillis par Prise 2 en 2019.

(1) Maurice Borghesi, tapissier aux studios, avait quant à lui reçu les positifs des photos de tournage des Amazones et du film inachevé de Young réalisé à la Victorine, Jackpot (1975), auquel il avait participé, au moment du départ de Young.
(2) Actrice, née à Antibes, elle a joué dans la plupart des films de son mari à partir de 1970, dont Les Amazones.
(3) Young avait, avant de s'installer à Cannes, une villa à Antibes, située au 360-371 du chemin de la Mosquée, la Villa Houzée, qui existe toujours.